Mot-clé - Ouvrages reconstituants

Fil des billets - Fil des commentaires

dimanche, mars 27 2011

Une heure de moins, un livre de plus : L'Oiseau canadèche

La cloche du temple se tait.
Mais le son continue
A sortir des fleurs.

Bashô

Ça, c’est l’épigraphe. S’ensuivent à peu près quatre-vingt-dix (petites) pages où l’on voit vivre en toute plénitude Jake, le grand-père distillateur émérite du Râle d’agonie, whisky dispensateur d’immortalité, son petit-fils Titou, géant paisible voué à l’érection de clôtures parfaites sur l’étendue de leur vaste propriété californienne qui n’abrite pas un seul mouton, et Canadèche, la cane géante dont je ne dirai rien de plus, car, en ce dimanche le plus affreux de l’année, celui où l’on nous prive d’une heure de printemps (pour nous rendre une heure d’automne, arnaque), le seul moyen rationnel d’affronter la frustration est d’en soustraire une heure encore pour avaler ce bref roman – novella disent les Anglo-saxons – illuminé de  fantaisie anar’. C’anar’d. ;-( 

La postface de Nicolas Richard, ni pédagogique ni démonstrative, mais fertile et poétique, est parfaite.

N.B. : L'auteur est Jim Dodge, et le titre américain est Fup (1983).

jeudi, mars 17 2011

"Entre Ciel et terre", de Jón Kalman Stefánsson

Nous t’envoyons ces mots, ces brigades de sauveteurs désemparées et éparses….

C’est un émerveillement, chaque fois, de tomber sur un beau livre, un de ceux qui vous emportent, dès les premières lignes, et de se dire qu’il y en aura toujours et encore, qu’il y a toujours quelque part dans le monde de ces auteurs habités, dont les histoires et le style vous saisissent et vous attachent, et ne vous quittent plus.

J’avais vu l’an dernier chez Pages d’Encre Entre Ciel et terre, de Jón Kalman Stefánsson, un auteur islandais, dont Stéphane m’avait recommandé la lecture. Avec une assez belle photo vide, plage, mer, rochers, ciel gris immense. Que je n’avais pas lu, craignant d’une part une histoire trop sombre, et rebroussée en outre par la lecture de cette série branchouille de romans norvégiens d’Ann Ragde - réaction inepte car pourquoi y aurait-il quelque rapport entre un auteur islandais et une autrice norvégienne, pas plus proches que ça, même géographiquement ?

Erreur réparée, bouquin récupéré enfin après l’avoir suffisamment désiré à la bibliothèque, et lu sitôt qu’entamé.

Je l’ai lu d’un trait (la nuit est propice à ce genre de folie), tellement vite que je n’ai pas pris la peine même de noter les pages des passages que je trouvais les plus beaux, il y en a des tas : je n’avais pas sur la table de nuit mon « crayon de lecture », je me disais que je les retrouverais facilement - tu parles !.

 «Le café, l’effort qui les attend, Einar est un homme reconnaissant, il en viendrait presque à apprécier ceux qui sont assis sous les combles, à demi inclinés au-dessus de leurs gobelets presque vides ; il parvient même à regarder ces deux nigauds, Barður et le gamin, sans ressentir la moindre colère, parfois, ils le rendent complètement fou avec leur éternelle et satanée lecture, les citations perpétuelles de poèmes qu’ils s’adressent l’un à l’autre, quelle honte que de laisser cette pourriture se nicher dans votre âme et vous ramollir face à la vie, mais non, même cette pensée ne parvient pas à lui échauffer le sang qui, en ce moment, est un fleuve paisible. Einar sirote son café et la vie est douce.

S’en vient le soir
Qui pose sa capuche
Emplie d’ombre
Sur toute chose,
Tombe le silence,

lit Barður dans Le Paradis perdu, il incline le livre afin que la lampe y projette sa clarté, une lumière qui parvient à illuminer un vers bien tourné atteint probablement son but. »

«GeirÞruður  l’a écouté les yeux mi-clos, ses paupières haves reposaient sur la nuit de ses yeux, Helga fixait la couverture rouge car il faut bien avoir les yeux posés quelque part, ils ne sont pas comme les mains qui peuvent simplement s’endormir ou comme les jambes que personne ne remarque au bout d’un certain temps, les yeux sont en tout point différents, ils ne se reposent qu’à l’arrière des paupières, ce rideau à la surface des rêves. Les yeux échappent à tout contrôle. Nous devons réfléchir où et quand nous les posons. L’ensemble de notre vie s’écoule à travers eux et ils peuvent aussi bien être des fusils que des notes de musique, un chant d’oiseau qu’un cri de guerre. Ils ont le pouvoir de nous dévoiler, de te sauver, te perdre. J’ai aperçu tes yeux et ma vie a changé. Ses yeux à elle m’effraient. Ses yeux à lui m’aspirent. Regarde-moi un peu, alors tout ira mieux et peut-être pourrai-je dormir. D’antiques histoires, probablement plus vieilles que le monde, affirment que nul être vivant ne supporte de regarder Dieu dans les yeux car ils abritent la source de vie et le trou noir de la mort. »

On trouve dans ces deux passages le flux de cette écriture poétique, la justesse des observations, le sac et le ressac des points de vue qui font passer insensiblement de l’auteur, ou plutôt du conteur, au personnage, au lecteur, de la parole commune issue des plus anciennes traditions à la parole individuelle. Étrangement, on ne le comprend pas vraiment tout de suite, ce sont les morts d’autrefois qui, de leurs voix blanches, nous parlent  de l’enfer, de la puissance du désespoir, du goût de la vie et du paradis perdu, et de quoi ? du souffle, quel qu’il soit, qui les habite malgré tout pour que jusqu’à nous parvienne l’histoire de Barður et du gamin, d’Andréa et de Guðrun, de Pétur, d’Arni et Sesselja, de GeirÞruður, d’Helga et du vieux capitaine aveugle, et de tous les autres, marins, femmes, ivrognes, pasteurs… il y a quatre sections au livre, deux en italiques, la première et la troisième, où se fait entendre la voix des morts-conteurs. Les deux autres : Le gamin, la mer et le paradis perdu, puis Le gamin, le Village de pêcheurs et la trinité profane, content l’histoire du gamin.

Entre Ciel et terre fait partie de ces romans puissamment vocaux, sobres, sombres, où domine une nature immémoriale et tragique, éclairée cependant par le courage, l’obstination, la compassion, l’amour et l’amitié des hommes. Et la voix des livres. 

Je suis heureuse que mon trois-centième billet célèbre cet auteur-là. Et d'ajouter, je ne l'ai pas fait et  je m'en repens, que la traduction d'Éric Boury, qui est aussi le traducteur, entre autres, d'Indridasson, est magistrale. Je vois qu'il a un blog, j'irai y voir plus tard, voici le lien.

dimanche, mars 6 2011

La Couleur des sentiments ("The Help") de Kathryn Stockett

J’avais une amie qui s’appelait Marthe Wencelius. Elle était vive et mince, pleine de passion sous ses cheveux gris  coupés courts. Je l’avais rencontrée aux cours de maîtrise de Didier Pralon, qu’elle suivait aussi, pour le plaisir. Elle était prof de philo à la retraite, et la dernière fois que je l’ai vue dans sa merveilleuse maison de Lourmarin au bout d’un champ caillouteux cette fois-là rouge de coquelicots, elle avait perdu la mémoire immédiate, je crois qu’elle ne savait plus qui j’étais, mais elle savait réciter par cœur, en grec ancien, des poèmes de Sappho. Marthe avait enseigné aux Etats-Unis, et elle m’avait raconté – nous passions ensemble à Lourmarin des séjours à lire à haute voix Cendrars devant la cheminée ou à boire du champagne avec une paille d’herbe sèche, en riant comme des écolières – elle m’avait raconté que lorsque son fils était petit enfant, elle avait un jour trouvé leur « bonne » ? domestique noire lui montrant dans sa baignoire que leurs deux bras, couleur mise à part, étaient exactement semblables. Elle montrait à cet enfant, alors qu’il était encore accessible à un amour sans calcul, qu’il n’y avait pas de différence d’humanité  entre eux. Qu’un homme est un homme, quelle que soit la couleur de sa peau. Marthe est morte fin mai 2009, très âgée, je viens de le découvrir en ayant tout à coup l’idée de la chercher sur google. Que cette chronique salue sa mémoire, son hospitalité chaleureuse, et les  moments de bonheur qu’elle a offerts à la jeune femme que j’étais. Il y a toujours à la maison un cendrier huître fossile. C’était une coutume, aux Coustières, que d’utiliser les innombrables huîtres que donnait la terre comme cendriers.

J’évoque ce souvenir de Marthe à propos de ma dernière lecture, La Couleur des sentiments (The Help), de Kathryn Stockett, publié en 2010 chez Jacqueline Chambon, éditrice liée à Actes Sud. C’est mon amie Isabelle (ma plus « vieille » amie), qui me l’a prêté. Et tel en est le sujet : la façon dont, peut-être, l’amour donné par les femmes noires aux enfants des Blancs contribuera, un jour, à faire d’eux autre chose que des racistes de père-et-mère en fils-et-fille. Le roman tisse les voix de trois femmes : deux domestiques noires, une jeune femme blanche.

Lire la suite...

vendredi, février 25 2011

Benny Barbash - My First Sony

450 pages, plus les 21 pages de lexique - car sachez qu’il y a un lexique AVANT de lire, moi qui ne l’ai découvert qu’à la fin, mais ça n’a aucune importance, puisque je vais le relire incontinent – 450 pages environ donc avalées en deux-trois jours (et la nuit aussi).
Mais de QUOI parles-tu ?  - de « My First Sony », de Benny Barbash, 1994, traduit de l’hébreu, très bien, par Dominique Rotermund, et publié chez Zulma (encore!) en 2008.

Un roman selon mon cœur. Grouillant et foisonnant et tellement sinueux que qui sait où et quand on en est de cette histoire entièrement filtrée par la conscience de Yotam (onze ans à la fin du roman), qui est gros, de plus en plus gros et flasque, et enregistre TOUT ce qu’il peut enregistrer de la vie et des conversations de sa vaste, bruyante, colérique, et envahissante, et incohérente famille juive sur son magnétophone Sony, le deuxième - le premier ayant été détruit un jour de fureur par son père.

Le mode narratif de ce roman m’a instantanément évoqué la façon dont Daniel Mendelsohn évoque celui pratiqué par son grand-père, dans Les Disparus, texte que j’ai déjà cité au moment où je l’ai chroniqué, et que je reproduis ici à nouveau tellement ça correspond  à mon impression de lecture :


Lire la suite...

jeudi, février 10 2011

Considérations erratiques autour de 'Best Love Rosie', de Nuala O'Faolain, et de l'autre, en-dessous.

Note de "hasards de lecture", en deux insomnies.

Comme le masochisme a des limites, je me suis offert, après préparation de mon cours de latin, une pause lecture. Mais Houellebecq, non, pas de bon matin alors que la brume s’est levée sur ciel bleu et soleil, et lumière douce de fin d’hiver. Alors, j’ai ouvert Best Love Rosie, emprunté  la bibliothèque. Autre joli livre, de ces volumes presque carrés chez Sabine Wespieser, avec belles marges et papier crémeux, imprimés à Abbeville, en outre ! et la juxtaposition des deux lectures m’inspire, au pied levé, une réflexion : il y a des livres qui vont vers vous et d’autres vers lesquels il faut aller, parmi lesquels, il y a ceux vers lesquels il faut se forcer à aller et surtout à poursuivre, suivez mon regard. Best Love Rosie ne se prend pas la tête avec des postures pseudo-réflexives sur la forme romanesque, tant et si bien qu’au début j’ai été un peu gênée par les prénoms qui déboulaient en force sans que je m’y retrouve  tout à fait, gêne aussitôt disparue qu’éprouvée. Parce que j’étais déjà emportée par l’histoire, les personnages, leur épaisseur (y compris physique, puisque ce n’est pas le moindre des thèmes de ce roman), leur grâce.

Et je me dis que ce qui m’irrite tellement dans ce snobisme français de l’admiration pour des œuvres médiocres et de préférence trash, cette folie du « concept » qui étouffe toute création sincère et juste (« l’idée, c’est que… »), cette « manie », au sens psychiatrique (et comique) du terme, de la théorie au détriment du sens (et dieu sait si j’ai le goût de la forme !), c’est qu’elle est pur gaspillage de réflexion, mauvais recyclage de vieux toc toxique, stérile et mortifère.

Lire la suite...

samedi, février 5 2011

Auður Ava Ólafsdóttir - Rosa Candida, "Afleggjarinn"

C’est un plaisir de lire un bouquin d’une traite. Il suffit pour cela d’une tempête dehors, d’une insomnie, d’une bonne couette et d’un livre pas trop épais : condition réunies la nuit dernière avec un roman de chez Zulma, sa couverture à rabats décorée de motifs géométriques (très années 60, celle-là), son triangle de titre renversé (le triangle, pas le titre), le gracieux qui signe la marque de l’éditeur, avec l’épigraphe empruntée à Corbière : « À la mémoire de Zulma / vierge-folle hors barrière / et d’un louis ». Les pages sont crémeuses, au regard, au toucher. La reliure, solide, on peut tordre quelque peu le livre sans le casser. Autrement dit, un volume de chez Zulma donne physiquement le plaisir de lire, d’autant plus que le roman en question est charmant. Une seule réserve pourtant : je  viens de découvrir que les rabats (heureusement, c’est plus discret) portaient l’équivalent d’une « quatrième de couverture » tellement détaillée qu’on se demande après l’avoir lue - chose qu’heureusement je n’ai pas faite au préalable - pourquoi entamer le bouquin. Cette manie de tout révéler d’un livre avant même qu’on l’ait ouvert ! Ça ressemble à ces apéritifs tellement copieux voire bourratifs qu’on n’a plus faim au moment de se mettre à table. Je croyais qu’on requérait aujourd’hui des auteurs d’appâter l’éditeur avec un « pitch » incitatif. Pourquoi ne pas le répercuter tel que au lecteur ? En tout cas, si vous voulez lire Rosa Candida, ne jetez surtout pas un œil sur les rabats, ça briserait tout le charme.

Rosa candida, donc, traduit l’islandais Afleggjarinn, qui manifestement ne signifie pas la même chose. Je l’ai tellement cherché dans les dictionnaires en ligne, muets et perplexes, que je sais désormais l’écrire par cœur. J’ai la manie de vouloir connaître le titre original d’une œuvre (livre ou film) pour en interroger le sens. Eh bien après moult tentatives totalement avortées (qualificatif en l’occurrence très peu pertinent), j’ai fini par trouver en tapant direct le titre dans gougueule et en tombant sur une critique en anglais : « Affleggjarin » se traduit par « offspring », qui signifie « progéniture », mais « rejeton » aussi….  

Lire la suite...

mardi, février 1 2011

Erlend Loe - Muleum

Lu ces derniers temps Muleum d’Erlend Loe, le titre s’éclaire à la fin. Ça se lit vite, ce n’est pas un chef-d’œuvre. Juste un petit roman sans prétention sous forme de journal-intime-et-de-voyage d’une jeune suédoise très fortunée, dont on apprend dès les premiers mots  qu’elle a perdu père, mère et frère dans un accident d’avion en Afrique. Marasme profond de la jeune solitaire qui tient à distance famille, amis et son « docteur Dingo », et va arpenter le monde en avion, pour essayer de rejoindre dans le grand nulle part sa famille disparue. Ça fait un peu scénario en cascade de gags assez noirs, un peu (en beaucoup moins bien), à la Harold et Maud, pour qui aurait vu ce film délectable, mais on sourit volontiers. Bonne surprise, en outre : le traducteur, qui est le même que celui de Doppler - j’ai vérifié, incrédule - a entre-temps renoué avec la langue française. Rien à redire à cette traduction-là, qui colle assez juste avec la langue très relâchée de la jeune héroïne. Un parfait roman de week end…

Et ce soir, c’est Proust par Nina Companeez à la télé. Allons-y voir !

dimanche, octobre 10 2010

Katharina Hagena - Le Goût des pépins de pomme

 Le titre est plaisant, suggestif. La couverture épatante, appétante : j’aime les planches botaniques, et celle-ci est particulièrement jolie : rameau fleuri, fruit (cox orange ? boskop ?), coupe transversale, coupe longitudinale, et les pépins, bien nets, dans leur loge étoilée, dans leurs loges jumelles, ou tout seuls sur la planche, graines modestes, sources de saveur, promesse de renaissance. J’ai cru un moment que l’éditeur était Phébus, il y a des couvertures de ce genre pour André Dhôtel me semble-t-il, mais non : c’est Anne Carrière, dont j’ai ainsi découvert  l’existence.

Lire la suite...

dimanche, décembre 20 2009

Helene Hanff, pour les amoureux des livres et des lettres

14e. 95th st.
nyc
4 jan. 1956

« je me suis cachée sous mon lit pour vous écrire, c’est là que le catulle m’a conduite.
franchement, ça DÉPASSE l’entendement.
Jusqu’à présent, le seul Richard Burton que je connaissais, c’était un jeune et beau garçon que j’ai vu jouer dans deux ou trois films britanniques. J’aurais préféré m’en tenir là. Le vôtre a été anobli pour avoir transformé Catulle – caTULLe – en mièvreries victoriennes.
quant au pauvre petit m. smithers, il a du avoir peur que sa mère ne le lise et il se donne un mal FOU pour l’expurger à fond.
enfin, disons que vous allez me trouver un beau Catulle en latin tout simplement, je me suis acheté un dictionnaire Cassel, je me débrouillerai moi-même pour les passages difficiles. 
(…) J’ai mis de l’argent de côté à la caisse d’épargne en prévision de l’été prochain : si la télé continue à me nourrir jusque là, je réussirai finalement à aller en Angleterre. Je veux voir la cathédrale Saint-Paul, le Parlement, La Tour de Londres, Covent Garden, l’Old Vic et la Vieille Mme Boulton.  Je joins un billet de dix dollars pour ce truc, ce catulle relié en toile blanche – avec des signets de soie blanche en plus ! frankie, où TROUVEZ-vous des trucs pareils ?!»

Lire la suite...

jeudi, août 20 2009

Oscar Panizza - Scandale au Couvent

Le héros de la nouvelle qui suit est Fritz, quatorze ans, que son père pasteur et imprécateur s’est résigné à confier à un oncle et une tante pour qu’il puisse poursuivre ses études dans la petite ville de Résidence. Il rentre au foyer après sa première véritable sortie:

« ... soudain, juste au coin d’une rue, je m’arrêtai devant une grande vitrine, comme frappé par la foudre ; je me sentais décontenancé, sans volonté, tel un animal blessé, mes yeux étaient rivés sur la vitrine. Alors j’oubliai tout, mon paquet, mon entourage, ma commission, moi-même enfin.
Je vais maintenant tenter de décrire tout ce que je vis et je ressentis. Derrière l’immense vitrine tout d’une pièce, polie comme un miroir, étaient assis, ou plutôt semblaient suspendus en l’air, à moins qu’ils ne fussent fichés dans le sol, une ou deux douzaines de corps humains, je veux dire des morceaux de corps humains, sans tête ni jambes, qu’on n’avait pas vraiment abattus, mais plutôt découpés, des troncs pelés ayant gardé leurs hanches, mais sans vie, parfaitement propres, brillants soyeux, extrêmement gracieux et élégants, comme s’ils avaient été déposés là pour être embrassés, baisés. Donc il ne s’agissait pas là d’une boucherie d’êtres vivants, mais… comment dire ?, les hanches étaient parfaitement conservées avec des poitrines rebondies, c’étaient des momies humaines, mais dont on aurait conservé la partie la plus précieuse. Toutes étaient de différentes couleurs, du blanc de neige au noir profond, et ces couleurs n’étaient pas peintes, elles étaient le produit naturel du contenu de ces corps, un contenu qui aurait suinté et se serait solidifié. Les bords, à leur tour, étaient magnifiquement teintés d’une couleur différente. Ce fut surtout un de ces corps à la couleur orangée qui captiva entièrement mes sens. Il avait une bordure noire, des hanches délicates dont une main d’enfant eût presque pu faire le tour à l’endroit le plus étroit ; la poitrine ressortait hardiment, puissamment, le tout donnait une impression de grandeur. C’était là vraiment un être idéal.
« Qui que tu sois, d’où que tu viennes, m’écriai-je intérieurement sous le coup d’une impulsion irrésistible, tu n’en es pas moins splendide, ô créature couleur d’orange ! si je te possédais, rien ne manquerait plus à mon bonheur. »
En parlant ainsi en moi-même, je me penchais le plus possible par-dessus la main de fer qui courait le long de l’immense vitre, maintenant les gens à bonne distance, pour dévorer des yeux mon cher être orangé. Mais en même temps, je repris un peu de sang-froid et je me mis à réfléchir : d’où pouvaient bien provenir ces êtres-troncs ? Existe-t-il quelque part une race humaine aussi précieuse, commençais-je à me demander, une race dont je ne sais encore rien et qu’on m’a tenue jusqu’ici cachée ? Donc une race humaine colorée et brillante, semblable aux espèces que l’on nomme cacadous et colibris chez les oiseaux. Mais pourquoi leur a-t-on coupé la tête et les jambes ? Manifestement parce que les troncs sont ce qu’elles ont de plus beau. Car ce sont bien là des enveloppes humaines. Si elles n’ont pas de plumes comme les oiseaux, elles brillent comme de la soie. Il s’agit des dépouilles d’une race particulière. Ne pourrait-on aller dans leur pays et y vivre heureux ? (…)
Dans la nuit j’eus un rêve : la créature-tronc, baignée d’une lumière orangée, apparut au pied de mon lit , tel un être rayonnant venu de l’au-delà.. Ô poétique apparition ! je me redressai sur ma couche, ne sachant pas si je dormais ou si je veillais encore, et regardai fixement la ravissante image ; sous l’effet d’un désir violent, je m’avançai et tendis les mains (…)
À partir du matin suivant, je fus un autre homme. J’avais maintenant une raison d’être. Mon âme ne vaguait plus à l’aventure ; quand elle était seule, elle savait à quoi se raccrocher ; elle s’évadait vers la petite rue sombre, devant la vitrine luisante et conversait avec la créature orangée, ce tronc fabuleux, qui était peut-être le reste d’une lointaine race de l’Inde. » (…)


Je n’en reproduirai pas plus. J’espère que cet apéritif vous ouvrira l’appétit. C’est extrait de la nouvelle L’Amateur de Corsets, l’une des huit nouvelles que comporte le recueil Un Scandale au Couvent d’Oscar Panizza, publié dans la petite collection Minos aux éditions La Différence.

Lire la suite...

samedi, juillet 11 2009

Le Cercle Littéraire des amateurs d'épluchures de patates - Mary Ann Shaffer et Annie Barrows

Ma jeune et joyeuse amie Hélène appelle cela un « roman de bichette ». Dans sa nomenclature personnelle, cela semble désigner ce que j’appelle pour ma part un « roman reconstituant », avec une nuance supplémentaire de romanesque, versant féminin. Est-ce d’ailleurs un roman susceptible de plaire aux messieurs ? Oui, sans doute, si l’on considère que c’est LE libraire qui nous l’a conseillé, et que le succès mondial d’un bouquin ne peut tout de même pas venir de ses seules lectRICES ? Encore que. En tout cas, nous nous en entretînmes avec une satisfaction joyeuse, après l’avoir lu quasiment au même moment. Nous n’en avons même pas évoqué tel ou tel personnage ou telle ou telle anecdote. Seulement la sorte de plénitude éprouvée à trouver chaque situation et chaque personnage à sa place avec le ton juste, et le plaisir de dévorer  un-roman-qui-reste sans arrière-pensées en une période de grande fatigue. Autre « roman-de-lecteurs », au passage. Il faudrait se pencher sérieusement sur cette tendance, mais je n’ai certes pas pour l’heure l’esprit en état. Brèfle.
C’est un roman épistolaire, dont la voix « dominante » (encore qu’elle ne domine guère, en proie qu’elle est à toutes les incertitudes) est celle Juliet Ashton, 33 ans, autrice d’un best seller d’après-guerre, les Chroniques d’Izzy Bickerstaff pour le Spectator rassemblées en volume. Articles légers écrits au fil des six années de guerre pour lutter par l’humour contre le désarroi et le marasme. Mais Juliet en a assez d’Izzy, de la campagne de promotion du livre organisée par son cher ami, éditeur et mentor Sidney à travers le pays, et ses lettres à son amie Sophie (au demeurant sœur de Sidney mariée en Écosse) et à Sidney lui-même en témoignent. Elle en a assez de la guerre, et son prochain livre piétine. Jusqu’à ce qu’elle reçoive de Guernesey une lettre inattendue, cependant qu’un riche et séduisant éditeur new-yorkais a entrepris de l’assiéger à grands renforts de fleurs rares, de dîners fins, de sorties au théâtre et de soirées dansantes, à la grande réprobation de Sidney d’ailleurs.

Lire la suite...

lundi, juin 29 2009

Alan Bennett – La Reine des lectrices (Denoël et d'ailleurs)

 Les livres sont une merveilleuse invention, vous ne trouvez pas ? dit-elle au recteur, qui opina de la tête. Au risque de passer pour une midinette, je dirais qu’ils ont tendance à développer la sensibilité des gens.

Jean Genêt, Ivy Compton-Burnett, Nancy Milford, Anita Brookner, J.R. Ackerley, Trollope, Jonathan Swift, Proust, Dylan Thomas, Kilvert, Vikram Seth, Silvia Plath, Lauren Bacall, E.M. Forster, Mary Renault, Babar, Dostoïevski, Shakespeare of course, Samuel Pepys, Jan Morris, John Cowper Powys, Jane Austen, Virginia Woolf, Alice Munro, Jane Austen, les Brontë, George Eliott, Thackeray, Dickens, Thomas Hardy, Betjeman, Philip Larkin, Christopher Isherwood, Henry James…. Il y a beaucoup d’Anglais, encore certains ont-ils dû passer à travers les mailles de ma liste. C’est que l’Uncommon Reader dont il est question dans cette brève pochade allègre et malicieuse, est sans doute la plus illustre des Anglaises. La Reine des lectrices, telle est la traduction française bien venue de cet ouvrage dont le titre anglais est un clin d’œil à Virginia Woolf, auteur du Common Reader, Le Lecteur ordinaire, ouvrage très connu outre-Manche mais parfaitement ignoré par chez nous.
Pas très « commune » en effet : c’est la reine d’Angleterre soi-même, Elizabeth la seconde, qui est un jour visitée par le virus de la lecture, à l’occasion du passage derrière les cuisines du bibliobus de Westminster intempestivement investi par ses chiens.



Lire la suite...

lundi, avril 27 2009

Percival Everett - Désert Américain

J’ai un penchant déclaré, lorsqu’un auteur me séduit, à écluser ses ouvrages disponibles. Il y a eu, l’été dernier, Irène Nemirovsky, ou Westlake, ou McEwan. Ces derniers temps, c’est Percival Everett. Heureusement, il n’y en a pour l’instant que quatre traduits en français. Après mon interminable tartine d’hier sur Effacement, je serai plus brève.
Désert américain est aussi une satire, débridée, féroce. Qui commence par une mise en pièces, celle du héros, décapité par son pare-brise dans un accident de voiture alors qu’il était en route vers son suicide. Oui, mais voilà. En pleine cérémonie funèbre, alors que son oraison vient d’être prononcée, Ted Street se redresse et sort de son cercueil, nu de la taille aux orteils parce que le patron des pompes funèbres lui a piqué son pantalon. Décès dans l’église même de deux assistants par crise cardiaque, chaos, émeute gigantesque dans toute la petite ville de Californie, effervescence nationale. Est-il mort, est-il vivant ? Si ses sensations physiques ont quasi disparu, Ted ressent les émotions sur un mode beaucoup plus intense, en particulier à l’égard de sa famille, bouleversée à tous les sens du terme par cette expérience totalement inédite.

Lire la suite...

dimanche, mars 1 2009

Vacca, Derec

Cinq bouquins ces derniers jours, et c’est du dernier surtout que je veux rendre compte. Trois d’une inspiration autobiographique manifeste, deux plus explicitement fictifs, bien que quatre prétendent au titre de romans.
Il y a donc eu de Paul Vacca La Petite cloche au son grêle, dont le titre m’évoque, allez savoir pourquoi, Francis Jammes. Ce n’est pourtant pas celui-ci qui est au cœur de ce premier roman tardif édité chez Philippe Rey, sobre couverture gris-bleu, papier crémeux, belles marges. Sur les bords de la Solène fleuris au fil des saisons de narcisses, pivoines ou clématites – il y a une musique des noms de fleurs dans ce roman – le narrateur enfant dérobe un jour un volume oublié dans l’herbe à l’approche de la pluie par la cantatrice locale dont il est amoureux. ''Du Côté de chez Swann''. Pour ce fils de cafetiers d’origine italienne, la langue de Proust est une illumination mystérieuse qui va l’unir à sa mère dans une complicité ardente de lecteurs passionnés – malgré les craintes du père : une telle lecture ne risque-t-elle pas de rendre son fils homosexuel ?, et l’hostilité caustique de la prof de français. Au fil des saisons et de la vie tranquille d’un bourg provincial, l’amour de Proust fera entrer dans la salle du café « Chez Nous » Pierre Arditi disant les grands auteurs pour finir sur un feu d’artifice de morceaux de ''La Recherche'', puis réunira le bourg entier dans une grande représentation de l’œuvre, entrée triomphale et douloureuse du narrateur dans l’âge adulte. Paul Vacca devait ce roman à la mémoire de sa mère. C’est un joli texte, d’une écriture très classique.
Puis, parce qu’il était à la maison à portée de main, de Jean-François Derec Le Jour où j’ai appris que j’étais juif, récit.

Lire la suite...

dimanche, janvier 4 2009

Les Cordons du poêle - Westlake suite

Très bien le site de Westlake. Sur lequel il est encore en vie et c'est tant mieux. Si vous voulez savoir sous combien de pseudos il a écrit ses innombrables bouquins, allez voir sa biblio, il y a déjà ces six-là : Donald Westlake, Richard Stark, Tucker Coe, Curt Clark, Samuel Holt, Edwin West, et ce n'est pas tout, la mort de Westlake, c'est une véritable hécatombe dans le monde des lettres !
A présent, poursuivons notre lecture :
Un autre épisode, un peu plus loin. Pour tenter de récupérer l’émeraude qu’ils ont volée mais dissimulée par obligation dans un commissariat de police, Dortmunder et ses copains escrocs viennent d’attaquer, en hélico et par les toits, ledit commissariat :

Lire la suite...

samedi, janvier 3 2009

Festival de crêpe

Eh bien voilà. Je ne pouvais pas commencer pire. Je fais ma première note de 2009 sur un Westlake pas terrible (on ne devrait jamais commencer une année par une note de lecture négative) et le lendemain, Westlake est mort. La veille, en fait, mais je ne l'ai su que le lendemain, si vous me suivez. Dans le genre hécatombe des humoristes. Comme je n’ai pas envie de me spécialiser dans la notice nécrologique, je préfère vous copier ci-dessous - ce sera le meilleur des hommages - quelques passages savoureux et caractéristiques – parmi les bouquins qui sont encore à la maison. Parce qu’il y aurait eu sinon le début de Jimmy the kid, avec un dialogue nocturne de cour d’immeuble au petit poil, et un autre dialogue, ponctué de monologue intérieur, dans Drôles de Frères, quand Frère Benedict et l’abbé discutent avec le technocrate qui doit raser leur couvent. Grands moments d’hilarité dans ma carrière de lectrice.
Voici donc le début de Pierre Qui brûle (édition folio) rebaptisée Pierre Qui roule (The Hot Rock ) dans la récente édition Rivages. Comme l’indique le premier mot, c’est un Dortmunder. (Ainsi disent les Westlakophiles, par antonomase. Il y a les Dortmunder, et les autres.)

Lire la suite...

mercredi, octobre 1 2008

Je viens de lire avec le plus grand plaisir "La Joueuse d’échecs", de Bertina Henrichs, chez Liana Levi, Piccolo.

D’une traite, sans arrière-pensée ni réserve, et avec le sourire. Livre, on l’apprend à la fin, couronné de nombreux prix de lecteurs – il y en a 10, attribués par des bibliothèques, une radio, ou des villes, signe de la ferveur de lecteurs anonymes, c’est la meilleure - . Histoire modeste, écrite d’une plume ferme et enjouée, sur un mode classique de narratrice omnisciente et pleine de bienveillance pour ses créatures.

Lire la suite...

vendredi, septembre 19 2008

Vicki Baum - Lac-aux-dames

Bon, il va falloir faire quelque chose. Parce que la liste des romans que j’ai lus récemment s’allonge, et que mon Convolvulus déserté se dessèche comme après une attaque de désherbant… même si les conditions ne sont pas propices à l’écriture, allons-y.
Alors, pour commencer avec le sourire, Phébus, encore. L’autre samedi, en quittant le marché, je suis tombée devant la table du libraire, sur Lac-aux-dames de Vicki Baum. Un bouquin dont le titre – et le nom de l’autrice – avaient habité mon adolescence. Je l’ai toujours vu, familier, quelque part dans mon champ de vision, comme j’en entendais toujours avec plaisir les sonorités exotiques. Je savais, aussi, que Colette avait fait les dialogues du film que Marc Allégret en avait tiré. J’ai dû lire ça quelque part dans sa correspondance.
Mais je ne l’avais jamais lu.
Alors, ce samedi-là : jolie couverture, comme souvent, genre dessin de mode et de plage, années 30, et puis surtout, en ouvrant le volume, le sous-titre : « Roman gai d’amour et de disette ». C’est irrésistible !

Lire la suite...

mercredi, mai 21 2008

« Il lui rendit le volume avec un sourire hautain. "Il ne faut pas lire de livres français. C'est le pays de la pourriture"

Vexée, Marie-Jeanne chercha dans la bibliothèque de quoi le faire revenir sur ses opinions. Elle eut la main heureuse. Josse lut avec beaucoup de plaisir François le champi et La Grande peur dans la montagne. Barrès en revanche ne lui plut guère, ni Péguy. Pendant une semaine aussi, il faut vivement intéressé par Fécondité, un des quatre Évangiles de Zola. C'est un livre, je crois, qu'on ne lit plus beaucoup. Aussi n'est-il pas inutile de préciser que l'auteur y présente les ménages sans enfants accablés de mille vicissitudes tandis que les parents de vingt-quatre marmots ont du bonheur qui leur sort de toutes les poches. La thèse était celle dont Josse faisait volontiers son ordinaire. Par-dessus le marché le caractère démonstratif de l'ouvrage lui plaisait. C'est comme cela qu'il concevait un livre, avec des idées, des principes, une utilité enfin. Il en parla au curé qui se fâcha tout net. "Zola! C'est à cause de Zola que la France est perdue." Josse, cette fois, regimbait. "Pas du tout. Ce qu'il dit est juste." Il lui apporta le volume. Le curé fut bien attrapé. Il n'avait jamais vu Zola sous ce jour-là. Il lut l'ouvrage avec intérêt, en nota quelques arguments pour un de ses sermons."

 Il s'agit de "Bergère légère", de Félicien Marceau.

Lire la suite...

dimanche, mai 4 2008

Elizabeth Goudge : "Le Pays du Dauphin Vert" - pavé anglais

Une petite île d’enfance, puis, au bout du monde une deuxième grande île, celle de l’âge adulte. Deux fillettes, puis trois enfants que le fil de l’histoire voit s’épanouir en jeunes adultes puis vieillir jusqu’à l’âge installé. Deux, trois... une quatrième maison… et un couvent en nid d’aigle.
Un pavé : 792 pages rééditées par Phébus (encore, mais sans plus les érudites et passionnées préfaces de JPS – Jean-Pierre Sicre, et c’est dommage car que de questions cette lecture ne suscite-t-elle pas !).
Et un pays : les tribulations de William, de Marianne, d’Old Nick le perroquet, du tonitruant et bienveillant capitaine O’Hara, de Nat’, du fascinant Tai Hairuru (La Mer retentissante), vibrant et serein à la fois, trouvent leur unité dans le pays imaginaire né dans l’enfance de Marguerite, Marianne et William entre la rue du Dauphin Vert, sorte de rue-fée, « toujours joyeuse, car les gens qui y habitaient étaient toujours heureux, pas assez pauvres pour être privés de la joie de vivre, pas assez riches pour en être accablés », et le clipper du même nom, apparu à Marianne et William dans un matin étincelant, celui de leur rencontre avec le capitaine O’Hara.

Lire la suite...

lundi, mars 3 2008

La Passion secrète de Fjordur de Jørn Riel


Je me suis offert ce matin une petite récréation en relisant, car c'est aussi un plaisir infini que de relire, La Passion secrète de Fjordur et autres racontars, que j'ai racheté faute de l'avoir retrouvé (comme tous les auteurs aimés, Riel est singulièrement absent de nos étagères). C'est un délice. On y découvre après débauche d'hypothèses au sujet de sa réclusion et de son absence d'hospitalité les raisons de la muflerie de Fjordur (Accès de religion ? onanisme ? ivrognerie ? ah ! les interminables discours savants de Mads Madsen le raisonneur), c'est le volume où est narré le "combat de gueule" de Lause et du Lieutenant Hansen consécutif à un débat sur l'art du service à table, et le séjour de l'arrogant et dogmatique inspecteur chez Bjorken suscite chez le lecteur une indignation au moins égale à celle des chasseurs... Il y a une histoire d'ours, une histoire de chien fidèle -Laban, pas Lassie - la découverte du mal de mer et du sens de la vie par un avocat bedonnant, la musique et la fraternité des solitaires...
J'ADORE ces histoires, contées avec talent, drôlerie, générosité, une immense affection pour les hommes et le sens absolu des infinies richesses du langage et du récit.

Lire la suite...

mercredi, janvier 2 2008

Petits fours aigre-doux, légèrement épicés...

« À la une du Mercenaire, en caractères gras, un bandeau à en-tête avisait le public :  Chaque ligne de ce journal est payée. Nous dépendons du gouvernement quel qu’il soit, nous n’écrivons jamais notre propre opinion, sauf quand nous y contraint le plus sordide esprit de lucre. En conséquence nous avertissons nos lecteurs, pour lesquels, individuellement et collectivement, nous n’avons que profond dédain et mépris, qu’ils n’ont pas à prendre au sérieux nos articles, et qu’ils doivent avoir pour nous autant de mépris et dédain que nous le méritons, si toutefois c’est humainement possible. »

Lire la suite...

dimanche, octobre 14 2007

Andrea Camilleri, La Pension Eva

Je parlerai un jour des romans policiers, enquêtes menées par le gourmand, tenace et désabusé commissaire Montalbano, (dont le patronyme est un hommage de Camilleri à son confrère catalan Montalbán, le créateur du gourmand Pepe Carvalho) - Quand j’aurai remis la main sur au moins l’un d’entre eux, parce qu’il n’y en a aucun sur les étagères où ils sont censés se trouver ; signe infaillible : bouquins prêtés - à qui ? – jamais rendus….
La Pension Eva n’est pas une enquête du gourmet commissaire. Camilleri a même jugé bon de l’introduire par une notule, où il qualifie ce mince opus de « vacances narratives », faute de pouvoir le ranger dans une catégorie littéraire… « Récit heureusement inqualifiable », dit-il… Voire. Récit heureux, celui de l’initiation à la vie de Nenè, de l’aube de ses onze ans à l’aube de l’âge adulte, par bordel interposé. La pension Eva, pimpante villa aux murs toujours crépis de frais, aux volets verts toujours clos, titille dès l’enfance la curiosité de Nenè lors de ses promenades jusqu’au port :

Nenè le savait, ce que c’était qu’une pension, il l’avait demandé à un de ses cousins, qui faisait l’université à Palerme : c’était querque chose de mieux qu’une auberge et querque chose de pire qu’un hôtel. (..) Mais alors pourquoi de jour, devant le porche de cette pension, il n’y avait vraiment aucun mouvement ?

Nenè gamberge sec, à propos de cette auberge, et il a bien du mal à se faire une religion :

- Papa, c’est vrai, que dedans cette maison, les hommes peuvent louer des femmes nues ?
C’est tout ce qu’il avait aréussi à saisir des explications de ses petits copains. À part qu’il avait appris que la pension Eva pouvait s’appeler aussi
bordel ou boxon et que les femmes qui étaient là-dedans et qu’on pouvait louer étaient appelées putains. Mais bordel et putain, c’était des gros mots qu’un minot correct ne devait pas dire.
- Oui, arépondit, frais et tranquille, son père.
- Ils les louent à l’année ?
- Non, pour un quart d’heure, une demi-heure.
- Et qu’est-ce qu’ils en font ?
- Ils se les regardent, dit son papa.

Son initiation amoureuse, Nenè la connaîtra en dehors de la pension. Mais ses rêves s’y accrochent opiniâtrement.

Lire la suite...

mardi, août 14 2007

Jørn Riel, nouveaux - et presqu' ultimes - Racontars

circulaire.TN__.jpgLe neuvième, et avant-dernier volume des Racontars arctiques est paru à l’automne dernier chez Gaïa, la maison d'édition aux pages roses - non que je raffole de cette bizarrerie, mais bénis soient-ils jusqu'à la fin des temps pour avoir traduit et édité cet auteur tonique, truculent et MODESTE. Pour le coup, La Circulaire n'est pas une très bonne nouvelle pour ceux qui, comme moi, vivent depuis quelques années dans la familiarité des chasseurs. Parce que ladite circulaire tombe chez Doc et Mortensen – les télégraphistes musiciens – pour annoncer la fermeture par la Compagnie des stations de chasse, et donc la mise à pied des chasseurs. Et que ça se passe très mal, puisque ça commence par des morts, dont une que je ne suis pas près de digérer. J'ai mis une semaine à me décider à finir le volume, par crainte de perdre d'autres personnages chers. Mais je ne le regrette pas : c'est tendre, drôle et bien mené. (Juste une bizarrerie : il semblerait que Susanne Juul et Bernard Saint Bonnet, les traducteurs attitrés et talentueux de Riel, ignorent le passé simple des verbes en –eindre ! "il atteint" pour "il atteignit" au beau milieu d'un passage au passé simple, et ce à plusieurs reprises).
Le dixième volume doit être en cours de traduction puisque pour l'heure on ignore tout du sort de Bjorken et de ses deux compagnons, et du Lieutenant et de Valfred, entre autres. Après, il n'y aura plus qu'à relire.
Il y a une quantité de liens pour Jørn Riel sur Gogole. Un, parmi d'autres : ici

Et encore celui-ci trouvé sur le site d'une ardente lectrice, Pascale Arguedas, qui donne le texte d'une savoureuse autobiographie de l'auteur.

jeudi, août 9 2007

Un illustrateur inspiré

Je replace ici le billet concernant Le Baron perché de Calvino, illustré par Yan Nascimbene. Le talent de l'illustrateur mérite que l'on fasse apparaître quelques unes de ses images inspirées.


Quant au Baron perché, les Éditions du Seuil l’ont publié en volume relié, illustré par Yan Nascimbene. C'est une édition "jeunesse" dont le lien ci-desous avec la rubrique Calvino du très joli site de Yan Nascimbene, et quelques images y prélevées, vous donneront une idée. Je vous recommande cette édition : elle est merveilleusement réussie. On trouve dans le dessin la même légèreté et la même fantaisie parfois foisonnante que dans le roman. On s'y promène avec le même regard charmé, on y explore les images comme on découvre toujours quelque nouvelle excentricité dans l'histoire. Les personnages y sont juste assez incarnés, juste assez silhouettes. C'est un bonheur :

Il est à mon avis rare de trouver un tel accord entre un auteur et un illustrateur.

Le site de Yan Nascimbene donne toutes les illustrations réalisées pour Le Baron, pour Palomar, et pour un texte moins connu : Aventures.

Précipitez-vous, promenez-vous, offrez ce livre à vos enfants, à vos amis, c'est une occasion toujours renouvelée de plaisir des yeux et de l'esprit.

Côme méditant

Violette à la balançoire

- page 2 de 3 -